top of page

Quel héritage pour le handisport après les Jeux de Paris 2024 ?

A l'ocasion de la publication du rapport d'information déposé par la Commision des finances de l'Assemblée Nationale sur l’impact budgétaire et l’héritage des Jeux olympiqueset paralympiques de 2024, il est intéressant de se pencher sur l'héritage des JO sur le handisport.


Les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 ont été présentés comme un moment décisif pour l’inclusion des personnes en situation de handicap dans le champ sportif. Sur le papier, les ambitions étaient élevées : développement des infrastructures accessibles, médiatisation inédite du sport adapté, formation de personnels spécialisés et hausse de la pratique sur l’ensemble du territoire. Un an plus tard, les données disponibles et les retours du terrain permettent de poser un regard plus nuancé. Si certains acquis sont réels, ils demeurent inégalement répartis et fragiles.


Le handisport a gagné en visibilité, mais la consolidation de cette dynamique suppose des choix politiques clairs, un pilotage structuré et un engagement durable. En l’absence de ces conditions, l’héritage paralympique pourrait rester partiel.


ree

Des équipements accessibles, mais un accès inégal

Le rapport de l’Assemblée nationale publié en juillet 2025 reconnaît les avancées majeures en matière d’accessibilité infrastructurelle. Les sites olympiques et paralympiques ont été conçus avec un haut niveau d’exigence, intégrant dès la phase de conception les besoins spécifiques des personnes à mobilité réduite. Des gradins réservés, des vestiaires élargis, des cheminements sans rupture de niveau, ainsi que des équipements spécialisés ont été mis en place sur l’ensemble des sites officiels, comme l’Arena Porte de la Chapelle, le Centre aquatique de Saint-Denis ou le Village des athlètes. Il s’agit là d’un progrès indiscutable, en rupture avec les pratiques d’adaptation tardive souvent observées lors des éditions précédentes.


Mais cet effort, aussi significatif soit-il, reste concentré autour des installations olympiques et ne reflète qu’une réalité très partielle de l’accessibilité sportive en France. La plupart des équipements municipaux, en particulier en dehors des grands centres urbains, restent inadaptés ou partiellement conformes. Dans de nombreuses communes, les salles de sport sont dépourvues de vestiaires accessibles, les piscines ne disposent pas de fauteuils de mise à l’eau, et les clubs sont contraints d’improviser faute de matériel. Par exemple, à Paris même, certains gymnases partagés entre plusieurs disciplines ne permettent pas de stocker du matériel spécifique ou d’accueillir des personnes en fauteuil roulant de manière autonome.


S’ajoute à cela un facteur structurel qui freine l’accès au sport dès l’amont : l’inadaptation persistante des transports publics, et en particulier du réseau de métro parisien. En 2025, seule une poignée de stations de métro sont équipées d’ascenseurs ou de rampes d’accès. La majorité du réseau reste inopérable pour une personne se déplaçant en fauteuil, en déambulateur ou même avec une canne. Cet état de fait limite considérablement la mobilité des pratiquants, notamment pour ceux qui souhaitent se rendre à un entraînement ou à une compétition dans un autre arrondissement ou en banlieue. Ce décalage entre la qualité des équipements ponctuels et la faiblesse des infrastructures de transport souligne un problème plus large : l’accessibilité sportive ne peut être pensée de façon isolée. Elle dépend de la continuité entre les lieux de vie, les moyens de déplacement et les lieux de pratique.


Une dynamique d’adhésion difficile à interpréter

Les données publiées par l’INJEP et certaines fédérations font état d’une hausse significative des licences sportives à la rentrée 2024–2025, évaluée entre 5 et 11 % selon les disciplines. Cette progression a été interprétée comme une retombée positive des Jeux. Pourtant, la répartition précise de ces chiffres par type de pratique, et notamment pour le handisport, reste indisponible.


À ce jour, ni la Fédération Française Handisport ni l’administration centrale ne publient de tableaux consolidés permettant de distinguer l’impact réel des JOP sur la pratique adaptée. Il en résulte une lecture imprécise, voire spéculative. Des retours du terrain, notamment en Seine-Saint-Denis, confirment l’ouverture de nouvelles sections ou l’arrivée de nouveaux pratiquants. Mais ces signaux restent localisés, non systématisés, et dépendants d’initiatives ponctuelles. La hausse observée pourrait être conjoncturelle, liée à l’exposition médiatique et à la proximité de l’événement. En l’absence d’un dispositif de suivi rigoureux, il est difficile de conclure à une transformation structurelle de l’offre et de la demande dans le secteur handisport.


Une médiatisation sans garantie de transformation sociale

La couverture médiatique des Jeux Paralympiques a atteint un niveau sans précédent en France. Avec plus de 2 millions de billets vendus et près de 8 millions de téléspectateurs pour la cérémonie de clôture, l’intérêt du public a été réel. L’espace accordé aux athlètes paralympiques dans les grands médias, les campagnes institutionnelles et les réseaux sociaux a contribué à rendre visibles des disciplines et des figures sportives jusque-là marginalisées. Il serait pourtant imprudent de confondre visibilité ponctuelle et modification durable des représentations sociales.


Le regard porté sur le handicap dans le champ sportif reste encore largement marqué par des stéréotypes, entre héroïsation excessive et compassion implicite. Cette médiatisation, si elle constitue un levier, ne suffit pas à transformer les pratiques d’accueil, les modalités d’intégration ou les logiques de financement des clubs. Elle peut amorcer une prise de conscience, mais non garantir une inclusion effective. À l’échelle locale, les clubs n’ont pas tous observé un afflux massif de nouveaux licenciés, et certains continuent de rencontrer des obstacles pour organiser des séances mixtes ou adaptées.


Autrement dit, l’effet vitrine des Jeux a été puissant, mais il ne produit pas mécaniquement une dynamique collective de transformation.


Une absence de pilotage national après l’événement

Le rapport de l’Assemblée nationale le note avec prudence : il n’existe à ce jour aucun cadre de gouvernance spécifique pour assurer le suivi post-paralympique du sport adapté. Les recommandations formulées restent générales, sans articulation opérationnelle. Les initiatives prises par certaines collectivités ou fédérations sont louables, mais elles ne suffisent pas à garantir un effet d’entraînement à l’échelle du pays. L’absence d’un pilotage national, d’un observatoire des pratiques, de lignes budgétaires dédiées, affaiblit considérablement la portée de ce qui aurait pu devenir une politique structurée. En d’autres termes, l’élan paralympique n’a pas été converti en stratégie publique. Ce déficit de cadrage compromet la possibilité d’en faire un levier à long terme, au-delà du simple souvenir d’un événement réussi.


L’action locale comme levier concret

Dans ce contexte d’incertitude institutionnelle, les clubs locaux restent les principaux relais de la pratique handisport au quotidien. À Paris, l’ASMF Handisport poursuit à son échelle un travail régulier d’accueil, de bienveillance, d’accompagnement et de développement de la pratique sportive pour les personnes en situation de handicap. L’association ne revendique pas un rôle pionnier ni central. Elle se situe simplement parmi les structures qui rendent la pratique possible, semaine après semaine, dans des conditions ordinaires. Pour nombre de ses adhérents, il ne s’agit pas de compétition, mais de bien-être, de lien social, de confiance. Ce sont ces dimensions, souvent invisibles, qui donnent tout leur sens aux politiques d’inclusion. Si les Jeux ont permis de changer le regard, les clubs permettent, eux, de transformer les usages.


ree

Une impulsion nécessaire mais insuffisante

Les Jeux de Paris 2024 ont incontestablement produit des effets positifs en matière de visibilité, d’accessibilité et de mobilisation. Mais ces effets restent conditionnés par des dynamiques plus profondes : celles de l’investissement public, de l’équité territoriale, du soutien aux structures associatives, et de la volonté politique de faire du sport adapté un pilier à part entière des politiques sportives nationales. À défaut, le risque est grand que l’héritage des Jeux reste suspendu à une mémoire collective sans traduction concrète. Il ne suffit pas d’avoir changé les images. Il faut maintenant construire les moyens.

 
 
 

Commentaires


bottom of page